AU CÅUR DâUNE JEUNESSE RÃVOLTÃE Du mouvement CPE à la lutte contre la LRU, Une jeunesse en quête dâavenir
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AU CÅUR DâUNE JEUNESSE RÃVOLTÃE Du mouvement CPE à la lutte contre la LRU, Une jeunesse en quête dâavenir
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La France a connu, sous des gouvernements de droite, plusieurs mobilisations successives dâétudiants et de lycéens entre le printemps 2006 et le printemps 2008, peu après la spectaculaire révolte des banlieues en novembre 2005. Ces mouvements se sont poursuivis et élargis aux enseignants-chercheurs au printemps 2009.
Il sâest dâabord agi de la lutte contre le CPE (« Contrat Première Embauche ») introduit au début de lâannée 2006 par le gouvernement de Dominique de Villepin, et créant une période dâessai de deux ans pour les jeunes de moins de 26 ans. Ce mouvement fut lâun des plus massifs quâait connu la France au regard des différentes mobilisations étudiantes et lycéennes précédentes; il sâest soldé par le recul du gouvernement et le retrait du CPE.
A lâautomne 2007, la Loi de Réforme des Universités (LRU), qui introduisait le secteur privé dans les conseils dâadministration des universités et en favorisait une privatisation rampante sous couvert dâautonomie, a suscité un mouvement très large de rejet de la part des étudiants ; mais cette mobilisation, pourtant longue et importante, nâa pas suffi à faire retirer la loi incriminée. Ce nâest que lorsque sont parus les décrets dâapplication de la loi LRU quâau début de lâannée 2009 les enseignants-chercheurs et universitaires sont entrés dans un mouvement massif et prolongé dâopposition et de grève.
Enfin, au printemps 2008, lâannonce de sévères suppressions de postes dans les lycées et la menace dâune remise en cause du baccalauréat comme diplôme national ont déclenché un mouvement de révolte lycéenne très important, là aussi sans succès.
La commune intensité et détermination de ces mouvements, confrontée à la divergence de leurs résultats, suscite des questions : pourquoi, lors du CPE, les étudiants, partis dâune poignée de militants, ont-ils réussi à entraîner avec eux de nombreux camarades dâétudes et les lycéens, puis de larges couches de la population, des enseignants et parents dâélèves aux salariés, jusquâà amener dans la rue des millions de citoyens ? Pourquoi ce succès nâa-t-il pu se reproduire contre la loi LRU, qui pourtant remettait en question la mission éducative fondamentale de lâuniversité en la laissant aux prises avec les intérêts des entreprises ? Et pourquoi les lycéens ont-ils été laissés aussi seuls dans leur lutte contre les suppressions de postes â un combat en quelque sorte pour compte dâautrui ?
Nous reviendrons ici sur les principales caractéristiques de ces différents mouvements, en nous appuyant sur des enquêtes approfondies, par entretiens semi-directifs, avec plus dâune centaine dâétudiants et lycéens impliqués dans ces luttes, et avec des enseignants et chercheurs. Nous chercherons à en montrer les motivations, le déroulement, les analyses produites, la part dâutopie et les propositions alternatives lorsquâelles ont existé. Nous en tirerons des leçons sur la façon dont se forment des générations militantes ou politiques, forgées dans ces périodes dâaffrontement avec le pouvoir et avec les institutions.
De ces mouvements, aussi divers quâils aient été et en dépit de la différence de leurs résultats, se dégagent de forts points communs :
Tout dâabord, la condition sociale de nombreux étudiants issus des couches populaires et même moyennes reste excessivement précaire : arrivés à lâuniversité avec la démocratisation de la scolarisation et de lâenseignement supérieur, ces derniers ont beaucoup de difficultés économiques et sont contraints de travailler parallèlement à leurs études, ce qui handicape leurs chances de succès. La condition étudiante est pour une bonne moitié des jeunes concernés une gageure. Ils sont donc très tôt confrontés aux emplois précaires, aux stages non ou peu rémunérés, à lâalternance du chômage et de lâemploi, alors même que le revenu de solidarité active (RSA) â tout comme le RMI qui lâa précédé â est interdit aux jeunes de moins de 25 ans, sauf conditions particulières très restrictives.
Ensuite, les jeunes qui fréquentent lâuniversité aujourdâhui en France sont loin dâêtre sereins. Ils sont inquiets et pessimistes quant à leur avenir, et à la place que leur réserve la société. Quand plus de 70 % des embauches se font en CDD, dâune durée moyenne dâun mois et demi, ils peuvent être fondés à redouter la précarité qui semble leur lot commun â même si elle frappe moins les plus diplômés â à leur arrivée sur le marché du travail. Cette précarité est aggravée pour les jeunes issus des classes populaires, qui échouent massivement en DEUG, au début de leur cursus universitaire, et sont très peu représentés dans leur ensemble à lâuniversité ( moins encore que dans les années 60 !). Quant aux jeunes dits « issus de lâimmigration », de nombreuses études ont montré les discriminations auxquelles ils se heurtaient sur le marché du travail et lâimportance du chômage qui les frappe.
Ensuite, lâuniversité française fait lâobjet de réformes tendant à instaurer une autonomie et une concurrence entre les universités, et visant à dégager un petit nombre dâuniversités dâexcellence, en désignant les autres comme des universités de seconde zone, privées à terme de moyens et de reconnaissance. Or ce sont dans ces universités délaissées que se concentrent les étudiants issus des milieux populaires.
Quand, en 2008, le gouvernement Fillon annonce de drastiques suppressions de postes dans les lycées, aboutissant à la suppression de filières entières, câest encore un régime dâ « école à deux vitesses » qui se dessine, les suppressions de postes affectant davantage les lycées situés en zone populaire, et tendant à aggraver leurs difficultés.
Il nâest donc pas étonnant que dâun mouvement à lâautre, de la lutte contre le CPE à celles contre la loi LRU et contre les suppressions de postes dans les lycées, le même constat soit fait de la volonté du gouvernement de séparer lâélite étudiante du tout venant, dâune part, et de forcer les jeunes à accepter des emplois de plus en plus précaires, en leur enlevant une partie des garanties essentielles du droit du travail. On peut même avancer quâavec la mise en Åuvre de lâautonomie des universités et la désignation de pôles dâexcellence qui appliqueront une sélection renforcée, ce sont des « surnuméraires » sur le marché du travail que le reste des universités sera appelé à fabriquer. Les jeunes, lycéens ou étudiants, se sentent désignés comme la cible des mesures du gouvernement, et comme condamnés à la précarité. Câest toute la société qui à travers ces mesures leur dénie le droit à des études équitables et de qualité, et plus tard, à un emploi convenable et stable, bref, à un avenir.
Ainsi, dâun mouvement à lâautre, court la même condamnation de la précarité comme horizon obligé, et le rejet dâune université et dâune école à deux vitesses. Même si les révoltes déclenchées en Grèce en décembre 2008 après le meurtre dâun jeune par la police attestent dâ un niveau très élevé de protestation sociale due aux conditions désastreuses dâentrée dans la vie active des jeunes Grecs, la même colère anime en France les jeunes, révoltés par le cynisme dont fait preuve le gouvernement à leur égard. Ces mouvements sont en quête de reconnaissance et dâéquité et expriment un désir dâavenir.
En même temps, ils expriment une subjectivité de la jeunesse actuelle qui nâest pas entendue ni prise en compte par les partis politiques, au pouvoir ou dans lâopposition, et ne trouve pas de terrain dâexpression au sein des institutions. Or se forgent dans la lutte des générations de militants, ou au moins de citoyens « conscientisés », sensibilisés à la politique, dâoù il résulte un décalage croissant entre les jeunes générations et la classe politique dans son ensemble.
Aussi, que seul le mouvement contre le CPE ait abouti au retrait du projet initial â sans supprimer pour autant une précarité attestée â , et que les mouvements lycéen du printemps 2008 et étudiant de lâautomne 2007 contre la LRU, repris à la rentrée 2008 et prolongés par le mouvement enseignant, nâaient obtenu aucune satisfaction, ne devrait pas laisser croire que le désir des étudiants et des lycéens dâen découdre est éteint. La révolte couve, et peut exploser à tout moment, tant est vive lâinquiétude quant à lâemploi, tant est ressentie la dénégation de sa place dans la société, tant lâavenir paraît bouché ou au moins incertain.
La recherche menée est restituée dans cet ouvrage en plusieurs chapitres. Le premier est centré sur la condition précaire dâune grande partie des étudiants et sur le déclassement qui les menace. Le deuxième chapitre aborde la mobilisation contre le CPE, la lutte la plus importante de cette jeune génération, non sans lien avec sa condition sociale largement précaire. Le troisième et quatrième chapitres sont axés respectivement sur les luttes étudiantes, contre la LRU en 2007-2008, et lycéennes en 2008. Nous terminons par lâexamen du mouvement des enseignants-chercheurs contre les décrets dâapplication de la loi LRU, donnant lieu à une lutte historique, mais décalée par rapport aux mobilisations étudiantes et lycéennes précédentes.
Il sâest dâabord agi de la lutte contre le CPE (« Contrat Première Embauche ») introduit au début de lâannée 2006 par le gouvernement de Dominique de Villepin, et créant une période dâessai de deux ans pour les jeunes de moins de 26 ans. Ce mouvement fut lâun des plus massifs quâait connu la France au regard des différentes mobilisations étudiantes et lycéennes précédentes; il sâest soldé par le recul du gouvernement et le retrait du CPE.
A lâautomne 2007, la Loi de Réforme des Universités (LRU), qui introduisait le secteur privé dans les conseils dâadministration des universités et en favorisait une privatisation rampante sous couvert dâautonomie, a suscité un mouvement très large de rejet de la part des étudiants ; mais cette mobilisation, pourtant longue et importante, nâa pas suffi à faire retirer la loi incriminée. Ce nâest que lorsque sont parus les décrets dâapplication de la loi LRU quâau début de lâannée 2009 les enseignants-chercheurs et universitaires sont entrés dans un mouvement massif et prolongé dâopposition et de grève.
Enfin, au printemps 2008, lâannonce de sévères suppressions de postes dans les lycées et la menace dâune remise en cause du baccalauréat comme diplôme national ont déclenché un mouvement de révolte lycéenne très important, là aussi sans succès.
La commune intensité et détermination de ces mouvements, confrontée à la divergence de leurs résultats, suscite des questions : pourquoi, lors du CPE, les étudiants, partis dâune poignée de militants, ont-ils réussi à entraîner avec eux de nombreux camarades dâétudes et les lycéens, puis de larges couches de la population, des enseignants et parents dâélèves aux salariés, jusquâà amener dans la rue des millions de citoyens ? Pourquoi ce succès nâa-t-il pu se reproduire contre la loi LRU, qui pourtant remettait en question la mission éducative fondamentale de lâuniversité en la laissant aux prises avec les intérêts des entreprises ? Et pourquoi les lycéens ont-ils été laissés aussi seuls dans leur lutte contre les suppressions de postes â un combat en quelque sorte pour compte dâautrui ?
Nous reviendrons ici sur les principales caractéristiques de ces différents mouvements, en nous appuyant sur des enquêtes approfondies, par entretiens semi-directifs, avec plus dâune centaine dâétudiants et lycéens impliqués dans ces luttes, et avec des enseignants et chercheurs. Nous chercherons à en montrer les motivations, le déroulement, les analyses produites, la part dâutopie et les propositions alternatives lorsquâelles ont existé. Nous en tirerons des leçons sur la façon dont se forment des générations militantes ou politiques, forgées dans ces périodes dâaffrontement avec le pouvoir et avec les institutions.
De ces mouvements, aussi divers quâils aient été et en dépit de la différence de leurs résultats, se dégagent de forts points communs :
Tout dâabord, la condition sociale de nombreux étudiants issus des couches populaires et même moyennes reste excessivement précaire : arrivés à lâuniversité avec la démocratisation de la scolarisation et de lâenseignement supérieur, ces derniers ont beaucoup de difficultés économiques et sont contraints de travailler parallèlement à leurs études, ce qui handicape leurs chances de succès. La condition étudiante est pour une bonne moitié des jeunes concernés une gageure. Ils sont donc très tôt confrontés aux emplois précaires, aux stages non ou peu rémunérés, à lâalternance du chômage et de lâemploi, alors même que le revenu de solidarité active (RSA) â tout comme le RMI qui lâa précédé â est interdit aux jeunes de moins de 25 ans, sauf conditions particulières très restrictives.
Ensuite, les jeunes qui fréquentent lâuniversité aujourdâhui en France sont loin dâêtre sereins. Ils sont inquiets et pessimistes quant à leur avenir, et à la place que leur réserve la société. Quand plus de 70 % des embauches se font en CDD, dâune durée moyenne dâun mois et demi, ils peuvent être fondés à redouter la précarité qui semble leur lot commun â même si elle frappe moins les plus diplômés â à leur arrivée sur le marché du travail. Cette précarité est aggravée pour les jeunes issus des classes populaires, qui échouent massivement en DEUG, au début de leur cursus universitaire, et sont très peu représentés dans leur ensemble à lâuniversité ( moins encore que dans les années 60 !). Quant aux jeunes dits « issus de lâimmigration », de nombreuses études ont montré les discriminations auxquelles ils se heurtaient sur le marché du travail et lâimportance du chômage qui les frappe.
Ensuite, lâuniversité française fait lâobjet de réformes tendant à instaurer une autonomie et une concurrence entre les universités, et visant à dégager un petit nombre dâuniversités dâexcellence, en désignant les autres comme des universités de seconde zone, privées à terme de moyens et de reconnaissance. Or ce sont dans ces universités délaissées que se concentrent les étudiants issus des milieux populaires.
Quand, en 2008, le gouvernement Fillon annonce de drastiques suppressions de postes dans les lycées, aboutissant à la suppression de filières entières, câest encore un régime dâ « école à deux vitesses » qui se dessine, les suppressions de postes affectant davantage les lycées situés en zone populaire, et tendant à aggraver leurs difficultés.
Il nâest donc pas étonnant que dâun mouvement à lâautre, de la lutte contre le CPE à celles contre la loi LRU et contre les suppressions de postes dans les lycées, le même constat soit fait de la volonté du gouvernement de séparer lâélite étudiante du tout venant, dâune part, et de forcer les jeunes à accepter des emplois de plus en plus précaires, en leur enlevant une partie des garanties essentielles du droit du travail. On peut même avancer quâavec la mise en Åuvre de lâautonomie des universités et la désignation de pôles dâexcellence qui appliqueront une sélection renforcée, ce sont des « surnuméraires » sur le marché du travail que le reste des universités sera appelé à fabriquer. Les jeunes, lycéens ou étudiants, se sentent désignés comme la cible des mesures du gouvernement, et comme condamnés à la précarité. Câest toute la société qui à travers ces mesures leur dénie le droit à des études équitables et de qualité, et plus tard, à un emploi convenable et stable, bref, à un avenir.
Ainsi, dâun mouvement à lâautre, court la même condamnation de la précarité comme horizon obligé, et le rejet dâune université et dâune école à deux vitesses. Même si les révoltes déclenchées en Grèce en décembre 2008 après le meurtre dâun jeune par la police attestent dâ un niveau très élevé de protestation sociale due aux conditions désastreuses dâentrée dans la vie active des jeunes Grecs, la même colère anime en France les jeunes, révoltés par le cynisme dont fait preuve le gouvernement à leur égard. Ces mouvements sont en quête de reconnaissance et dâéquité et expriment un désir dâavenir.
En même temps, ils expriment une subjectivité de la jeunesse actuelle qui nâest pas entendue ni prise en compte par les partis politiques, au pouvoir ou dans lâopposition, et ne trouve pas de terrain dâexpression au sein des institutions. Or se forgent dans la lutte des générations de militants, ou au moins de citoyens « conscientisés », sensibilisés à la politique, dâoù il résulte un décalage croissant entre les jeunes générations et la classe politique dans son ensemble.
Aussi, que seul le mouvement contre le CPE ait abouti au retrait du projet initial â sans supprimer pour autant une précarité attestée â , et que les mouvements lycéen du printemps 2008 et étudiant de lâautomne 2007 contre la LRU, repris à la rentrée 2008 et prolongés par le mouvement enseignant, nâaient obtenu aucune satisfaction, ne devrait pas laisser croire que le désir des étudiants et des lycéens dâen découdre est éteint. La révolte couve, et peut exploser à tout moment, tant est vive lâinquiétude quant à lâemploi, tant est ressentie la dénégation de sa place dans la société, tant lâavenir paraît bouché ou au moins incertain.
La recherche menée est restituée dans cet ouvrage en plusieurs chapitres. Le premier est centré sur la condition précaire dâune grande partie des étudiants et sur le déclassement qui les menace. Le deuxième chapitre aborde la mobilisation contre le CPE, la lutte la plus importante de cette jeune génération, non sans lien avec sa condition sociale largement précaire. Le troisième et quatrième chapitres sont axés respectivement sur les luttes étudiantes, contre la LRU en 2007-2008, et lycéennes en 2008. Nous terminons par lâexamen du mouvement des enseignants-chercheurs contre les décrets dâapplication de la loi LRU, donnant lieu à une lutte historique, mais décalée par rapport aux mobilisations étudiantes et lycéennes précédentes.
- Addeddate
- 2011-02-21 07:25:39
- Identifier
- AuCurDuneJeunesseRvolteDuMouvementCpeLaLutteContreLa
- Identifier-ark
- ark:/13960/t7np2wp2z
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